La portée d’une rumeur

Susan Knutson

Mars 2022

Une rumeur est arrivée jusqu’à moi – une idée folle et sauvage, rôdant en liberté. C’est une idée insensée mais fascinante et je suis astreinte à y réagir. La voici : « Les intérêts du corps professoral et ceux de « l’université » sont en opposition. » Regardons-y de plus près.

C’est une proposition simple, binaire, qui place « l’université » au centre et les professeurs dans un autre lieu, qui semble extérieur à l’université, tels des envahisseurs ou des parasites. Or, dans la réalité, les professeurs se trouvent au sein de l’université. Par définition, ils sont une partie intégrante du tout universitaire. Un enseignant universitaire possédant un doctorat qui n’évolue pas au sein d’une université n’est pas, ne peut être, un professeur. En outre, une institution d’enseignement supérieur sans professeurs ne peut être qualifiée d’université. La simplicité binaire de cette notion – selon laquelle les intérêts du corps professoral ne correspondent pas à ceux de l’université – constitue sa principale faiblesse. Pourtant, sa commodité séduit.

Une métaphore similaire, qui circule aussi en ce moment, suggère que les professeurs – toujours dans leur position marginale – tentent d’augmenter leur « empreinte » au sein de l’université. Je suppose que cela signifie qu’ils essaient d’avoir davantage voix au chapitre quant à la gouvernance de l’université. Cette idée est plus complexe que la proposition précédente. Toutefois, aucune de ces métaphores n’illustre convenablement la réalité de l’Université Sainte-Anne. Toutes deux sont trompeuses.

Aucune idée ne naît du vide (Herméneutique 101). On peut donc se demander quel contexte particulier a fait naître la notion selon laquelle les intérêts des professeurs sont opposés à ceux de « l’université ». Cette séduisante idée pourrait-elle être le produit de décennies de tensions liées aux contraintes budgétaires, en cette époque où les entreprises multinationales sont tentées de relocaliser leurs activités dans les parties du monde où le travail est moins bien rémunéré? Alors que la rémunération réelle des travailleurs des pays occidentaux les mieux nantis est en déclin? Des décennies durant lesquelles le financement de l’éducation supérieure au Canada a été continuellement insuffisant et où de petites et uniques universités francophones comme la nôtre ont évolué sous une pression constante? Eric Tufts, notre vice-recteur à l’administration, a bien veillé à nos finances en ces temps difficiles. Contrairement à l’Université Laurentienne, nous bénéficions d’une santé financière enviable; néanmoins, cela n’a pas dû être aisé.

Cependant, revenons à notre propos principal : il est illusoire d’imaginer que les intérêts du corps professoral et ceux de « l’université » sont en opposition. L’université ne peut être ainsi fractionnée.

Le corps enseignant – professeurs, enseignants, chercheurs, bibliothécaires – effectue le travail qui définit l’université en tant que telle; ses membres produisent le produit pour lequel l’université est reconnue. C’est le travail académique qui engendre la valeur que l’université a à offrir sur le marché international, une valeur que nous souhaitons bonifier dans les années à venir, comme c’est annoncé dans notre plus récent plan stratégique. Le travail des membres du corps professoral – enseignement universitaire, apprentissage et recherche – est l’essence, le cœur de l’université. C’est précisément ce qui fait de nous une université.

À l’heure actuelle, le corps professoral exige plus de respect à la table des négociations, une voix plus importante. Mais qu’est-ce que cette voix s’efforce de dire?

Les voix du corps enseignant réclament l’équité, particulièrement pour les membres plus vulnérables : ceux qui travaillent au secteur collégial et ceux qui survivent, année après année, en empilant les contrats à durée déterminée, voire cours par cours. Elles réclament une gouvernance universitaire qui se fait dans la collégialité et la transparence.

Les voix du corps professoral parlent aussi de physique, de mathématiques, de poésie, de pédagogie, des écosystèmes marins, des enjeux sociaux du milieu de la santé, des espaces culturels francophones, de linguistique, d’économie en milieu rural, de biochimie, de développement communautaire… et de bien d’autres choses. Ces professeurs volubiles sont passionnés de savoirs et l’université est un terreau fertile pour leurs discussions informées : c’est ce pourquoi et grâce à quoi nos étudiants s’épanouissent. Ceci constitue le noyau de notre identité en tant qu’université. C’est ce qui nous permet de stimuler le développement de la pensée critique chez de jeunes citoyens instruits dans les deux langues. C’est ce qui nous permet de soutenir nos futurs infirmiers, médecins, travailleurs sociaux, avocats, scientifiques, enseignants, banquiers, entrepreneurs, comptables, traducteurs, journalistes, thérapeutes, professeurs, poètes et bien plus.

Il y a aussi l’aspect des services à la communauté et à l’université : les comités, les services de consultation, les programmes de science citoyenne, les programmes de développement et de contrôle de la qualité (dont l’université dépend). Les voix du corps professoral sont tout aussi vitales dans ce secteur.

Sans tout ce travail des membres du corps enseignant, Sainte-Anne ne serait pas une université. Il va de soi que nos propositions et idées, que nos voix et requêtes valent à tout le moins d’être entendues avec sincérité à la table de négociation et dans les divers comités et qu’elles méritent des contrepropositions honnêtes.

L’idée que les intérêts du corps enseignant soient en opposition avec ceux de l’université est tout simplement fausse.

L’actuel climat d’opposition et de conflit, dont nous souffrons tous désormais, ceci est en opposition avec les intérêts de l’université. Ceci prend trop de place, laisse une trop grande empreinte. Le manque de souci et de respect pour nos compatriotes – professeurs, étudiants, membres du personnel et de l’administration – est nocif pour nous tous et est nettement en opposition avec les intérêts de l’université.
Susan Knutson, Ph.D. (UBC, 1989), est professeure titulaire et directrice du Département des études anglaises. Formée en tant que chercheure en études canadiennes et féministes, elle est rédactrice-fondatrice de la revue arbitrée de l’université, Port Acadie. Elle fut aussi la première doyenne de la Faculté des arts et des sciences de l’Université Sainte-Anne (2002 à 2007).